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... et Compostelle par ci, et Compostelle par là...
5 mai 2008

LA VESTALE

 ( photo de  La medecine de Klimt )

      2 heures de l'après midi, j'arrive enfin au village où j'ai prévu de m'arrêter. Ca va être bon aujourd'hui, encore meilleur que d'habitude: il  pleut sans discontinuer depuis que je suis partie ce matin, ça tombe, il pleut des cordes, it's raining cats and dogs, temps de chien, on est trempés jusqu'aux os, trempés comme une soupe. Hummm! la bonne soupe chaude que je vais me concocter tout à l'heure. Avec plein de légumes. Bien chaude. Je suis insensible au charme de ce village, il est mouillé, je veux me poser, je veux m'essuyer, je veux me réchauffer, me sécher, il est où le gîte ?, je joins quelques pèlerins, nous nous assemblons si près du but et nous finissons par tomber sur une  autre grappe de capes luisantes qui se pressentl et font la queue devant une maison de village, une grange, un havre de félicité sèche. Comme ça va être bon! A l'intérieur, nous marchons, nous piétinons, nous mouillons, nous salissons une magnifique calade comme j'en rêve dans mon jardin. je prends note, je photographierai plus tard, quand je serai sèche, reposée, quand la cohue des pèlerins sera apaisée. C'est une hospitalera toute   vétue  d'un délicieux camaïeu de bleu qui nous accueille derrière une petite table.  J'apprécie son souci d'élégance, son soin du détail, j'en ai marre, moi,  de ne rencontrer que du vêtement synthétique, fonctionnel, pratique, moche, sans recherche, boy-scout, j'en ai marre de, un jour le tee shirt rouge, un jour le tee shirt blanc ( en fait, il n'est plus vraiment blanc ).  Tout en tamponnant nos Credencials, elle distribue des informations, elle a un joli accent: Il faudra se serrer, ne laissons personne dehors par ce temps, laissez bien vos chaussures et vos capes dans le hall, il y a plein de papier journal pour bourrer nos chaussures gorgées d'eau, il faudra rajouter des matelas, il n'y a plus d'eau chaude, nous allons partager le repas ce soir, il faudrait venir aider, il y a des massages, si certains ont mal au dos, dans la grande pièce dès 3 heures,  il y aura une messe , pour ceux qui le souhaitent à 9h

_   Bonjour! Française. De chez moi. Un mois et demi à peu près. Et vous-même, vous êtes de quel pays, Europe de l'est mais je ne devine pas ? Tchécoslovaquie, bien sûr! Laura? D'accord! Mais qui va organiser le repas, on est nombreux ?

_   Moi

_   Qui fait les massages?

_   Moi

_    Et vous avez  trouvé un curé pour dire  une messe à 9 heures du soir ?

_   C'est moi-même qui célébrerai la messe

      J'ai trouvé un matelas, mince, pas épais, presque propre, bien sec; j'ai réussi à le coincer entre une table, des sacs à dos, des pieds, et après ma douche froide, ma lessive froide, je m'allonge avec délice; sans bouger trop les pieds, coincés sous une multiprise pleine de portables et  de batteries d'appareils photos et je peux penser tranquille: Une messe célébrée par une femme! Génial! J'accours ventre à terre, moi! C'est bien les pays de l'Est!: Cathos, gelés pendant 40 ans par le communisme, ils remettent ça  de plus belle avec des variantes modernes en plus. Je veux voir ça!

      Ça va mieux! J'ai somnolé. Il pleut toujours de trombes, je n'ai aucune envie de visiter le village qui nous accueille. D'ailleurs, personne ici ne semble avoir le goût de mettre le nez dehors, les tornades de pluie sont bruyantes, il parait qu'il pleut beaucoup, partout ce printemps en Europe. Ici, ça dort, ça papote,  ça écrit, ça lit, ça se panse ses ampoules, ça se masse les pieds, ça se vautre, ça rumine, ça rien, ça profite du sec. Allez, on bouge!  Enquête sociologique, elle s'habille comment pour les massages? Dans une pièce ronde,  voutée, intitulée " chapelle ", elle  est en train de replier sa table de massage, elle est superbe en blanc immaculé. Quelques heureux bénéficiaires se reposent, pieds nus,  alanguis, rêvasseurs sur des chaises disposées tout autour.

      Dans un pièce plus grande intitulée réfectoire, je rejoins les éplucheurs, ce sont plutôt des éplucheuses, et nous épluchons de concert des cagettes de légumes que des femmes du village,  néanmoins éplucheuses, ont apporté bénévolement pour nous, pèlerins. Je ne saisis pas bien ce que nous représentons pour elles: des pénitents, des bagnards, des croisés au service d'une noble  cause ? Elles sont accortes et semblent comblées d'être là, pour nous. Puis,  Laura entre, magnifique. Un simple grand tablier bleu sur des vêtements de tous les jours, tee shirt, jean. Une petite toque négligemment posée sur le côté. Nous épluchons. Nous échangeons. Laura est là pendant 15 jours, elle est venue à ses frais, sur ses vacances comme d'autres hospitaleras qui la relaieront, elle dispose de son temps, de sa fonction comme elle l'entend, elle est ravie et a décidé de se donner à fond  à sa tache. D'autres se contentent d'assurer la sécurité et la propreté des lieux, elle, elle veut donner un ton, une ambiance, elle est bien, elle  regrette que ce soit bientôt fini et qu'il faille céder la place.

      Nous sommes 63. 63 pèlerins, réunis pour manger la soupe et la tortilla. Cantoche. Brouhaha. Rigolades. Quand j'étais surveillante de cantine, j'étais jeune, il était interdire d'interdire, la directrice me demandait de stopper le raffut des élèves par des coups de sifflet. J'avais apporté le sifflet de mon grand père capitaine mais je n'ai jamais eu le coeur de l'utiliser. Ils étaient tellement mignons, ces braillards, ces petits cons qui se défoulent et qui se marrent bien. Pour l'heure, Laura nous fait taire en tapant sur son verre avec son couteau. Elle se lève, souriante et avec son accent charmant nous demande en anglais, en français, en allemand, en espagnol de chanter. Il s'agit de chanter par groupe, avec ses compatriotes, une chanson de son pays. Avec les français, on se repère, c'est un peu la panique, quelle chanson peut nous réunir? Variétés... Ah non! moi je ne m'abaisserai pas à chanter du Johnny Hallyday.. du Claude François non plus, certainement pas... Barbara?...  Vous ne connaissez pas les paroles?...  Brassens?...    Les copains d'abord?...  Ils ne vont pas comprendre les paroles, ce n'est pas la peine!...  Non, des chants religieux, non merci...   Au clair de la lune! On n'est pas des bébés!...  L'Internationale ? Oui, pourquoi pas ? Pélerins de tous les pays...  Moi, je vous chante l'hymne du M L F si vous voulez ... Non, je sais,  les mecs!... Santiâânô!...  on n'est pas en colo! ... OOlala! Qu'est-ce qu'on va  chanter?...  Quand je travaillais à la maison d'arrêt, l'aumonier-diacre me racontait qu'il avait quelques clients pour la messe du dimanche, les gars étaient contents d'une petite balade mais n'étaient ni fans ni connaisseurs en liturgie aussi, il  leur proposait de chanter. Et ils chantaient de tout leur coeur, à tue-tête ils en redemandaient et rentraient regonflés dans leurs cellules.  Bon, c'est parti: les Italiens " Lasciatemi cantare ... ", Angoisse, qu'est-ce qu'on chante ? Et puis, idée ( c'est moi qui l'ait eu l'idée ) , nous nous regroupons, tout le monde acquiesce: Dans un superbe ensemble, nous entonnons " Frê-reu Jâ-cqueu ..." et la magie se produit, 63 pélerins entonnent qui, " Brother John", qui,  " ensemble, philarmoniquement, associativement, solidairement, coopérativement, unanimement,   en choeur, en canon, c'est de toute beauté!  c'est beau! c'est beau !  c'est bien! on est bien!  carpe diem,  la vie vaut la peine d'être vécue,  je ne regrette pas d'être née! On ne s'arrêterait plus. Laura nous rappelle qu'après avoir débarassé, lavé et essuyé la vaisselle, et balayé sur et  sous les tables,  ceux qui le souhaitent peuvent participer à un office religieux.  J'ai la flemme maintenant, je n'ai plus le goût, je suis fatiguée, vidée.. Une messe, franchement!  Oui ,  mais une femme qui dit la messe! Bon, je suis de  celles et ceux qui le souhaitent.

      La pièce voûtée, ronde des massages de tout à l'heure, des chaises en cercle, du vide au milieu, un petit autel surélevé et devant l'autel, rouge, flamboyante, somptueuse, majestueuse la vestale  Laura élève devant elle une grosse bougie. On dirait l'allégorie de la Médecine par Klimt. Nous sommes une vingtaine suspendu à ses lèvres. Il s'agit de se passer la bougie à tour de rôle et  de livrer aux autres ce qui nous a amené sur le Chemin, ce qu'on en attend. Nous parlerons dans notre langue respective, et comme nous parlerons avec le coeur, nous nous comprendrons. Et la bougie passe à l'allemand, au coréen, au hollandais, au lituanien, à l'espagnol, je ne comprends pas et je ne comprends pas  les motivations des français non plus et je snobe mon tour en assurant que c'est pour des moments comme tout à l'heure quand nous chantions que je fais Compostelle.

      Dehors, il pleut toujours, c'est le déluge. Demain, j'espère, nous espérons... Bruits de plastiques retenus, lampes frontales hasardeuses, chasses d'eau, raclements de gorge, quelques pets épars,  les ronflements peuvent commencer.

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