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... et Compostelle par ci, et Compostelle par là...
21 mars 2008

LE DEUXIEME JOUR, VENDREDI SAINT

                            LE DEUXIEME JOUR, VENDREDI SAINT

 

 

      Je marche. Je continue. Ca commencera vraiment à Arles, en Arles. Ce sac! Je ne m'y ferai  jamais.  Faire Compostelle sans sac, ce serait bien, ce serait facile! Allez, allez, je marche. Toutes ces voitures! Ce bruit! Cette vitesse!

      200 m devant moi , une voiture s'arrête, se gare sur un petit emplacement. Un type en sort. Tête de dragueur. De psychopathe même. Les mains dans les poches, il remonte vers moi, il sourit. Pffffououou !


_   Bonjour! Vous allez à Compostelle ?

_   Mmoui

_   C'est loin  Compostelle.

_   Oui


_   Je vous ai vue hier à Charmes, vers midi


_   Ah !


_   Et je vous revois maintenant

_   Voui

_  Alors je me suis dit...


J'accélère le pas, je serre les dents et je ne pense à rien et mon sac me pèse.

_   Moi aussi, je suis allé à Compostelle


_   Ah


_   Trois fois


_   Ah


_   Pourquoi vous ne  prenez pas le chemin ? C'est dangereux, la route


_   Si vous croyez que c'est simple! C'est balisé n'importe comment ! Non, je file sur Arles  au plus vite. Je longe le Rhône.


_   Oui.

     Je voulais vous dire, j'ai rendez vous avec un copain, il a fait Compostelle, lui aussi,  nous allons vérifier le balisage avant la saison. Si vous voulez, je vous emmène . Sur le chemin, le vrai.

_   ?


_   Je vous emmène en voiture. Vous n'êtes pas loin, le chemin passe sur les coteaux, là au dessus.


_   ? ( c'est  vrai que sur les petites routes, je pourrai toujours sauter en marche... ça me fera des souvenirs de mon chemin de Compostelle )


_    ... Y'en a pas pour longtemps...


_    Non, c'est de la  triche, je fais tout  à pieds, Glun-Compostelle, porte-à-porte.


_   Oui, oh, il vous restera encore quelques kms à faire quand même!  dit-il en ouvrant sa portière.


_   Bon d'accord  dis- je en me délivrant de mon fardeau sur la banquette arrière. Puis je m'écroule lâchement sur le fauteuil  avant de sa voiture. La place du mort, la place de la morte, je l'ai bien cherché, rien ne m'obligeait, le moelleux des coussins, rapidité, facilité, envie de dormir, vigilance, au premier geste suspect, j'arrache mon sac, j'ouvre, hop!,  je saute dans l'herbe, roulé-boulé, il s'approche, hop!un premier de hanche et, hop!, il ne la ramène plus, le mec, et un serial killer en moins. Merci qui?

       Nous sortons de la Nationale, il conduit doucement dans les virages, mes reins, calés sur le siége confortable, fondent de félicité  nous montons sur le  coteau. Un petit village. Un petit bistrot ( à coup sûr, le patron est  de mèche mais je ne  peux pas  partir en courant sur la départementale, il passe des voitures). Le copain l'attendait, ça sent le coup monté. Très vite, ils me proposent de m'accompagner sur un bout de chemin que, justement, ils allaient contrôler  ( tiens donc! ). Alors, ils s'appellent Bernard et Bruno , ils ont fait plusieurs fois le chemin de Compostelle: la voie de Arles, la voie du Puy, au printemps, à Noël et bla et bla... Bernard appuie lourdement sur une phrase que le pape  Jean- Paul II aurait dit: "Ayez confiance"

      Bon, et puis on marche. On marche sur une route d'abord et puis sur des chemins de terre. J'accepte de les suivre, j'accepte d'entrer dans les bois au prétexte que " l'aventure est au bout du chemin " et que " qui ne tente rien n'a rien "ou autre " Inch'Allah ". Le temps est agréable, ni lourd, ni glacial. J'apprends qu'on peut faire des petites pauses, que ça réconforte, ça répare bien. J'apprends qu'une petite bouteille en plastique rigide, c'est plus léger que deux magnum ( on ne sait jamais ), qu'on trouve de l'eau partout.  On marche tous les trois de concert et je me félicite, naïve profane alors ! ,  d'avoir une foulée tout à fait honorable.
Bernard et Bruno m'apprennent un foule de choses:  à reconnaitre les signaux jacquaires, la chanson de Saint Jacques,  la manière de boire, la manière de serrer correctement le sac... Ilest convenu que je dormirai chez Bruno ce soir et même, qu'il me mettra sur la route demain. Nous cheminons sur les coteaux dans des allées de terre, larges. On chante. Et, même , ils me font faire un rallongi par Cruas pour voir l'Abbatiale. Nous mangeons dans un petit restaurant qu'ils avaient réservé  ( je  ne vais pas commencer, je n'ai pas les moyens; bon, exceptionnellement, pour fêter ça! ) et on continue. Je pensais que le plus gros de la journée était fait,  on longe la Centrale nucléaire au bord du Rhône. Pour adoucir les tours de refroidissement, on a peint une fresque: un enfant joue, paisible; il a une coquille Saint-Jacques dans les mains! Quelle drôle d'impression!Assimilation de Compostelle et du nucléaire!  Je longe la centrale contre laquelle je me suis battue il y a 30 ans,  c'est interminable. On n'arrive jamais. Mes épaules, mon sac, ils n'ont presque rien, eux, ils blaguent, ils randonnent, ils se baladent, je fais Compostelle, moi;

       Oui, c'est parti, je fais Compostelle, moi! Martine, la femme de Bruno, nous accueille. C'est ma deuxième nuit. Un voisin les emmene pour chercher la voiture. Un bain bouillant. Des vêtements propres. Un bon repas, je dévore: charcuterie, soupe, re-soupe, des pâtes, encore des pâtes; de la salade, une petite lichette de pâtes, du fromage, des fruits.  J'écoute la conversation, vautrée sur mon bras, avachie. Je flotte de fatigue.  Je m'écroule dans un bon lit.
Je me déleste de ma brosse à cheveux, ma trousse de toilette,  des chaussures, des chaussettes, des tee shirts que je récupèrerai plus tard, à mon retour,quand nous nous retrouverons, quand je leur raconterai la suite.

      Debout! Réparée! Réconfortée! En forme! Cette fois, je prends le Chemin. Je suis sur le Chemin. Je n'ai plus du tout envie de faire n'importe quoi jusqu'à Arles.

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